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Emballages plastiques à Kinshasa: une interdiction de plus

Kinshasa baigne dans l’insalubrité. L’air et les rivières sont pollués, les caniveaux sont bouchés. Les emballages en plastique, principale cause de cette situation, sont pourtant officiellement interdits depuis juillet 2018 suite à l’entrée en vigueur du décret n° 017/018 du 30 décembre 2017 signé par le Premier ministre Bruno Tshibala. Dans son communiqué du 27 février 2020, le gouverneur de Kinshasa a annoncé une nouvelle interdiction sans au préalable déterminer les causes du précédent échec. Autopsie d’une décision mal ficelée.

Qui mettra fin au règne du tout puissant sachet à Kinshasa? Cette question, je me la suis reposée en découvrant sur les réseaux sociaux un communiqué officiel de l’Hôtel de ville de Kinshasa. Dans ce document, dont j’ai pris soin de vérifier l’authenticité, le gouverneur Gentiny Ngobila interdit «l’utilisation et la détention des sachets plastiques non biodégradables». Décision louable, sauf que c’est pour la deuxième fois, que dis-je pour la troisième fois plutôt, que pareille décision soit prise. Et là, ça cloche. Le plastique, principalement le sachet non biodégradable, est le type d’emballage majoritaire sur le marché kinois. Légalement, ce type d’emballages est pourtant interdit d’utilisation et de production depuis l’entrée en vigueur d’un décret signé par Bruno Tshibala, alors premier ministre, le 30 décembre 2017. Après un moratoire de six mois accordé aux industriels pour écouler leur stock, il est entré en vigueur le 1er juillet 2018. Sauf que l’entrée en vigueur est restée lettre morte.

En moyenne, 48.154 kilos de déchets plastiques sont produits chaque jour en RD-Congo. Si dans les supermarchés, le plastique a disparu au profit des emballages en fibres, ce n’est pas le cas dans les différents marchés de Kinshasa. Et même dans ces supermarchés, les emballages ne sont pas donnés à tout le monde. «Emballages eza pona biloko ya plus de 10.000FC» (traduisez, pas d’emballages pour des achats de moins de 10.000FC, soit 6$). Cette réponse de l’agent d’un supermarché m’a révolté au point d’en savoir plus. Qui produit ce type de sacs et pourquoi ne sont-ils pas toujours accessible? A Kinshasa, je fais le tour de Limete dans le quartier réputé «industriel». C’est ici que se concentre l’essentiel des usines de la capitale. «Basalaka ba sachets wapi? (Où fabrique-t-on les sachets?)», lance-je à un cambiste sur Poids-lourds. «Ebimaka mwa liboso (Avance encore tu trouveras)», me répond-il sceptique. Dans le fait, personne ne veut me répondre. Je suis assimilé à ce qu’on appelle à Kinshasa, «des éclaireurs», ces jeunes à la solde des hommes en uniforme. Pire, au marché Gambela, la décision semble être méconnue. Dans ce principal centre des négoces de la capitale congolaise, c’est le sachet plastique ou rien, il coûte entre 100 et 300FC (0,06 et 0,20$). La seule alternative non plastique, «Market» coûte 500FC (0,30$), le choix est clair pour ne pas torturer la bourse. Dans la ville, l’une des seules usines qui offre les emballages en fibre se trouve à Ngaliema. Faute de concurrence, les clients se soumettent indubitablement à ses tarifs.

A Kinshasa, une décharge publique s’est formée à quelques mètres de l’Hôpital de l’Onatra au quartier Kauka

Ngobila fait du «jamais deux sans trois»

Gentiny Ngobila est le troisième dirigeant à interdire ce type d’emballage dans la capitale. En son temps, Tshibala n’avait nullement inventé la roue. Jean Kimbunda, alors gouverneur de la ville, y a déjà pensé en avril 2005. A cette époque, l’autorité urbaine avait décidé de traquer le mal à la racine. Il a fermé les usines de fabrication des sachets en plastique. «L’utilisation du sachet en plastique pour l’emballage de produits de consommation courante tels que l’eau fraîche, le lait en poudre, ou l’huile de palme est prohibée. Les fabricants sont priés de développer de nouvelles technologies d’emballages biodégradables, notamment le papier», avait-il déclaré. Je me souviens encore de cette eau en plastique qui prenait la place de l’«eau pure» au même prix, un règne éphémère.

Les mêmes causes produisent les mêmes effets

Prendre aujourd’hui une autre décision sans tirer les conséquences des précédents échecs est à mon sens irréfléchie. Kinshasa, pour être rendue salubre, n’a plus besoin d’effets d’annonce mais plutôt de décision de fond mûrement étudiée. Et bien que je rêve d’une ville où il fait beau vivre, je reste toutefois sceptique quant au succès de cette énième mesure.

Au-delà du problème environnemental, les emballages plastiques présentent plus de risques que des bénéfices. Entre la pollution visuelle, la pollution de la mer et des rivières, le bouchage de caniveaux et égouts, l’utilisation des emballages plastiques est un vecteur indirect de plusieurs fléaux sanitaires. De plus,  il faut environ 400 ans pour que les sacs en plastique se décomposent. Une durée qui double dans les fosses marines où la lumière ne parvient pas, créant ainsi des particules toxiques qui contaminent le sol et l’eau, et entrent dans la chaîne alimentaire des animaux. Et moi qui aime manger bio! Autre souci, la production sachet repose sur l’utilisation du pétrole, ressource non renouvelable.

Au marché central, de tas d’immondices côtoient les étalages où sont exposés les vivres

La gestion mieux que l’interdiction

Après avoir épluché le sujet, je me rends compte d’une chose, le sachet a encore de beaux jours devant lui, n’en déplaisent à ses détracteurs. Dans un pays qui est champion en fabrication des lois mais nul en vulgarisation, il faudra très vite penser à des solutions palliatives. Le Décret Tshibala, victime d’une abrogation tacite, découlait d’une bonne motivation, rendre le pays plus salubre mais péchait cependant par les mesures, ce qui sera certainement le cas pour la mesure de Ngobila aussi. Face à cet échec programmé, il serait donc impérieux de penser au recyclage. Pourquoi ne pas financer ces jeunes entrepreneurs qui recyclent les déchets plastiques? Ou encore créer un fonds de garantie retour après utilisation? Rendons notre pays propre.

Dandjes Luyila

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