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Lambert Mende: l’homme, son œuvre et ses manœuvres

Dans mon beau pays, on attend la mort d’un homme pour le célébrer. Aux funérailles, on ne tarit d’éloges sur la dépouille comme si elle manquait de défauts. En vie, rares sont ceux qui témoignent le mérite d’un compatriote. C’est ainsi que je lance cette rubrique intitulé «Aimons-nous vivants». La démarche est simple: célébrer un personnage public vivant. Pour ma première épisode, j’entreprend de peindre un homme, son œuvre et ses manœuvres. Il s’appelle Mende et il fait l’objet de plusieurs clichés. Le connaissez-vous vraiment?

Qu’on l’aime ou pas, Mende a un moment captivé nos tympans. Arrivé au ministère des Médias le 26 octobre 2008, il y a fait carrière et ne le quitte que 11 ans plus tard. Plus d’une décennie durant, l’homme au verbe facile a usé d’une communication agressive. Simple porte-parole du gouvernement, Mende a très souvent volé à la rescousse de Joseph Kabila. Et oui, le Raïs réputé muet n’avait plus de porte-parole depuis le limogeage de Kudura en août 2010. Dans ce double-rôle, Mende s’est attiré amis et ennemis, je dirai plus d’ennemis que d’amis.

Jamais membre de l’UDPS

«Fils de paysan », Lambert Mende est le troisième né d’une fratrie de onze. Né le 11 février 1953 à Okolo dans l’actuelle province du Sankuru, Mende Omalanga ne quitta son Lodja natal qu’après avoir décroché son diplôme d’Etat. A Kinshasa, il s’essaye en Droit et milite au sein de la JMPR, alors parti-État. Passé par la RTNC, Mende se refuse tout étiquette d’ancien mobutiste. Quelques temps après, il rejoint le Mouvement national congolais-Lumumba (MNC-L) qui œuvre alors dans la clandestinité. À 27 ans, il s’envole pour la Belgique, bourse d’études en poche. Malheureusement, celle-ci lui est retirée 2ans plus tard. S’en suit un chassé-croisé avec le Service national d’intelligence et de protection (SNIP). Désormais exilé politique, il ne baisse pas pavillon et décroche sa licence en criminologie. En parallèle, il continue son militantisme dans les médias en vue d’affaiblir le régime de Mobutu. Après l’instauration du multipartisme, Mende, de retour au pays, lance le «MNC-Originel». À l’issue des travaux de la CNS, il intègre le gouvernement, Étienne Tshisekedi. Nuance, il n’a jamais fait partie de l’UDPS mais a toujours apprécié le sphynx pour ses convictions.

Mobutu déchu, il rejoint les rangs du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Une dissidence et un accord politique plus tard, il se rapproche enfin de la kabilie et occupe entre 2003 et 2007 le poste de Rapporteur du Sénat. En 2006, il est élu député national à Lodja avant d’être réélu en 2011 et 2018 sur la liste CCU, son propre parti cette fois-ci.

En février 2007, il intègre le premier gouvernement de la 3ème République en tant que ministre des Hydrocarbures. Il ne quittera plus jamais l’exécutif sous le règne de Joseph Kabila. Quelques 20 mois plus tard, il arrive à la tête du ministère de la Communication et des Médias et endosse le costume de porte-parole du gouvernement. S’il est présenté comme mal aimé, Mende demeure ni plus ni moins que l’un des politiques le plus populaires du pays. En décembre 2018, il est quasi plébiscité à Lodja et réalise un des meilleurs scores, mieux que certains candidats Président.

L’anti-balle et la bouche du Raïs

Sa notoriété, Mende l’a construite à coups des mots, des réponses et des prises de position propres à lui. Choquant et amusant, Mende a marqué son temps. Toute occasion est bonne pour faire son show oratoire quitte à sortir l’artillerie lourde, son lexique qui ferait un joli lyric. Tel un anti-balle, Mende s’interposait à chaque fois que son Chef, le Raïs, était visé. En son temps, il fut l’un des premiers a évoqué l’article 70.2 de la constitution. «Tant qu’il n’y a pas d’élections, le président reste en place», avait-il dit dans une interview accordée à Habari RDC. Lorsqu’il fut sanctionné par le Conseil européen, son ironie est sanglante. «Ils ont tapé à côté puisque ces sanctions ne me font aucun mal à titre individuel», réagit-il dans les ondes de la Radio Okapi. La liste de ses réactions drôles n’est pas exhaustive mais la meilleure est sans nulle doute celle ayant trait au passeport semi-biométrique: «les services de l’immigration, tout en annulant l’ancien passeport semi-biométrique, vont pouvoir attacher le visa qui se trouve dans le passeport annulé dans le nouveau passeport biométrique».

Le coupeur d’Internet au verbe facile

Autre domaine où Mende s’est illustré, c’est dans les coupures intempestives d’Internet. Dans un pays spécial, la confusion est conviviale. Après tout Mende est ministre de la Communication et Internet sert à communiquer, tout coupure est à mettre sur le dos du ministre de mauvais augure. Quand il rêve de «réguler» les réseaux sociaux, c’est une passe qu’il délivre aux détracteurs.  Mende, c’est aussi et surtout son art oratoire. Ce genre de personnes qui peut vous convaincre que le «Yemen est en Afrique». Sur Mende, chacun a le droit d’avoir son opinion mais j’avoue qu’il a réussi sa mission. A coup de mots, il a mis des adversaires KO. Dans ce jeu de phrases, l’homme se trouve dans sa case. Même les professionnels des médias en ont eu pour leur compte. Mende fut et demeure un sacré client pour la presse. Les mots, il les avait dans sa poche. J’avoue sous Kabila, j’admirais deux choses: les plénières de Kamerhe et les points de presse de Mende. Lors de ses sorties médiatiques, sa rhétorique était épique. Grâce à lui, j’ai intégré dans mon jargon, de nouvelles expressions. Les nouveaux mots, je les ai appris en gros.

Expert en usage de mots difficiles, Mende sait comment rendre sexy la langue de Molière au point de vous obliger l’usage d’un dictionnaire. L’homme a hérité par atavisme le nationalisme de Lumumba et se refuse de laisser des prestidigitateurs sous l’effet des oripeaux, transformer le Congo en Pandemonium. Comme tous ces nationalistes connus, Mende n’escamote pas sa vraie nature et se refuse de ressembler à des stipendiés. Si aujourd’hui, l’homme apparait aux yeux de plusieurs comme un kleenex, la légende Mende vivra encore pendant longtemps et traversera les temps. Voilà du Mende tout craché.

L’homme qui a défié l’UE et ses sanctions

Visés par des sanctions de l’UE, Mende et 8 autres figures de proue de la Kabilie sont notamment interdits de fouler le territoire européen. Fidèle à lui-même, il pense que la «petite Belgique», épicentre, selon lui, de tous ces «milieux de puissants intérêts qui en veulent à la RD Congo» tente de reproduire le schéma du roi Léopold II. Plus tard, comme par un tour de magie, Mende contourna les sanctions et se retrouva … en Belgique à la faveur d’une dérogation humanitaire. Selon Matthieu Branders, porte-parole adjoint du ministère belge des Affaires étrangères, «le régime des sanctions prévoit un certain nombre de dérogations, notamment pour des raisons humanitaires». Il fallait être Mende pour y penser.

Mende me manque déjà

Surnommé le «Tshaku national» (perroquet) par Etienne Tshisekedi pour sa tendance à défendre l’indéfendable, Mende est demeuré imperturbable jusqu’en 2019 et les débuts de ses malheurs. Alors qu’il est élu haut la main député national et provincial, il décide de se porter candidat au poste de gouverneur et est soutenu par le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila. S’ils sont deux à postuler, Mende profite de l’exclusion de son adversaire accusé de double nationalité pour se dessiner un boulevard. Seulement, les Sankurois rêvent d’une vraie bataille électorale et ne le laissent pas faire. L’élection est plusieurs fois reporté avant de se tenir et de voir Mende être battu à plate couture par Mukumadi, réintégré entretemps. Le malheur ne venant jamais seul, un affaire de «faux-diamant» de 87 carats suscite un «vrai tollé» et Mende est «brutalisé» lors d’une brève interpellation par la police.

Remplacé désormais par Jolino Makelele, j’avoue que Lambert Mende me manque. Entre l’affaire des 15 millions et le crash de l’Antonov 72, j’aurais bien voulu entendre Mende faire ses «Jolis Makelele». Dommage, il se retrouve réduit dans son siège de député national. Autres temps, autre mœurs! Mende, lui, est immortel. Et ce n’est pas l’ancien porte-parole du MLC qui dira le contraire.

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